Psychopathia Sexualis

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  • #33485
    Eglantine
    Maître des clés

    En 1886, le psychiatre allemand Richard von Krafft-Ebing s’est mis en tête de répertorier toutes les “déviances sexuelles” rencontrées au cours de sa carrière.

    (Rappelons qu’à l’époque, le fétichisme, le BDSM et même l’homosexualité étaient considérés comme des “déviances”, relevant du domaine de la psychiatrie…)

    Il a donc rédigé un livre, Psychopathia Sexualis, qui relate rigoureusement les “cas” notables recensés parmi ses patients. Parmi eux, des personnes qui, de nos jours, auraient une sexualité considérée comme tout à fait normale – peut-être un brin kinky, mais pas de quoi en appeler un psy… et d’autres non : par exemple, le patient mentionné dans le paragraphe suivant, qui semble avoir une fascination inquiétante pour le jambon :

    Le malade se souvient qu’étant enfant il aimait beaucoup à voir tuer des animaux domestiques et surtout des cochons. À cet aspect, il avait des sensations de volupté bien prononcées et de l’éjaculation. Plus tard, il visitait les abattoirs pour se réjouir au spectacle du sang versé et des animaux se débattant dans l’agonie. Toutes les fois que l’occasion se présentait, il tuait lui-même un animal, ce qui lui causait toujours un sentiment qui suppléait au plaisir sexuel.

    Paradoxalement, dans les années qui ont suivi sa publication, bien que l’auteur ne soit guère tolérant quant à la vie sexuelle de ses patients, cet ouvrage a permis à de nombreux soi-disant “déviants” de se rendre compte qu’ils n’étaient pas les seuls, et ainsi, de “normaliser” certaines pratiques. Ceux qui se croyaient fous et marginaux se sont rendu compte qu’ils avaient simplement des goûts particuliers, qu’ils étaient en mesure de partager avec d’autres (aux dix-neuvième siècle, il ne fallait pas trop compter sur internet).

    L’année 1886, c’était il y a 128 ans. Psychopathia Sexualis fait donc maintenant partie du domaine public, et peut être lu dans son intégralité sur Le Projet Gutemberg : Psychopathia Sexualis.

     

    Un extrait :

    Observation 50.—Masochisme. M. Z…, fonctionnaire, cinquante ans, grand, musculeux, bien portant, prétend être né de parents sains; cependant, à sa naissance, le père avait trente ans de plus que la mère. Une sœur de deux ans plus âgée que Z…, est atteinte de la monomanie de la persécution.

    L’extérieur de Z… n’offre rien d’étrange. Le squelette est tout à fait viril, la barbe est forte, mais le torse n’a pas de poil du tout. Il dit lui-même qu’il est un homme sentimental qui ne peut rien refuser à personne; toutefois il est emporté, brusque, mais il se repent aussitôt de ses mouvements de colère. Z… prétend n’avoir jamais pratiqué l’onanisme. Dès sa jeunesse, il avait des pollutions nocturnes dans lesquelles l’acte sexuel n’a jamais joué un rôle, mais toujours la femme seule. Il rêvait, par exemple, qu’une femme qui lui était sympathique, s’appuyait fortement contre lui ou, qu’étant couché sur l’herbe, la femme par plaisanterie montait sur son dos. De tout temps, Z… eut horreur du coït avec une femme. Cet acte lui paraissait bestial. Malgré cela, il se sentait attiré vers la femme. Il ne se sentait à son aise et à sa place que dans la compagnie de belles filles et de belles femmes. Il était très galant sans être importun.

     

    Une femme plantureuse, avec de belles formes et surtout un beau pied, pouvait, quand il la voyait assise, le mettre dans la plus grande excitation. Il sentait alors le désir violent de s’offrir pour lui servir de siège et pouvoir «supporter tant de splendeur». Un coup de pied, un soufflet, venus d’elle, lui auraient été le plus grand bonheur. L’idée de faire le coït avec elle lui faisait horreur. Il éprouvait le besoin de se mettre au service de la femme. Il lui semblait que les femmes aiment à monter à cheval. Il délirait à l’idée délicieuse de se fatiguer sous le poids d’une belle femme pour lui procurer du plaisir. Il se dépeignait une pareille situation dans tous les sens; il voyait dans son imagination le beau pied muni d’éperons, les superbes mollets, les cuisses rondes et molles. Toute dame de belle taille, tout beau pied de dame excitait fortement son imagination, mais jamais il ne laissait voir ces sensations étranges qui lui paraissaient à lui-même anormales, et il savait toujours se dompter. Mais, d’autre part, il n’éprouvait aucun besoin de lutter contre elles; au contraire, il aurait regretté d’abandonner ses sentiments qui lui sont devenus si chers.

     

    À l’âge de trente-deux ans, Z… fit par hasard la connaissance d’une femme de vingt-sept ans qui lui était très sympathique, qui était divorcée de son mari et qui se trouvait dans la misère. Il s’intéressa à elle, travailla pour elle pendant des mois et sans aucune intention égoïste. Un soir elle lui demanda impérieusement une satisfaction sexuelle; elle lui fit presque violence. Le coït eut lieu. Z… prit la femme chez lui, vécut avec elle, faisant le coït avec modération; mais il considérait le coït plutôt comme une charge que comme un plaisir; ses érections devinrent faibles; il ne put plus satisfaire la femme et, un jour, celle-ci déclara qu’elle ne voulait plus continuer ses rapports avec lui puisqu’il l’excitait sans la satisfaire. Bien qu’il aimât profondément cette femme, il ne pouvait renoncer à ses fantaisies étranges. Il vécut donc en camarade avec elle, regrettant beaucoup de ne pouvoir la servir de la façon qu’il aurait désiré.

    La crainte que ses propositions soient mal accueillies, ainsi qu’un sentiment de honte, l’empêchaient de se révéler à elle. Il trouvait une compensation dans ses rêves. Il rêvait entre autres être un beau coursier fougueux et être monté par une belle femme. Il sentait le poids de la cavalière, les rênes auxquelles il devait obéir, la pression de la cuisse contre ses flancs, il entendait sa voix belle et gaie. La fatigue lui faisait perler la sueur, l’impression de l’éperon faisait le reste et provoquait parfois l’éjaculation au milieu d’une vive sensation de volupté.

     

    Sous l’obsession de pareils rêves, Z…, il y a sept ans, surmonta ses craintes et chercha à reproduire dans la réalité une scène analogue.

    Il réussit à trouver des «occasions convenables».

    Voici ce qu’il rapporte à ce sujet:

    «… Je savais toujours m’arranger de façon que, dans une occasion donnée, elle s’assît spontanément sur mon dos. Alors je m’efforçais de lui rendre cette situation aussi agréable que possible, et je faisais tant et si bien qu’à la prochaine occasion c’était elle qui me disait: «Viens, je veux chevaucher sur toi.»

    Étant de grande taille, je m’appuyais des deux mains sur une chaise, je mettais mon dos dans une position horizontale et elle l’enfourchait comme les hommes ont l’habitude de monter à cheval. Je contrefaisais alors autant que possible tous les mouvements d’un cheval et j’aimais à être traité par elle comme une monture et sans aucun égard. Elle pouvait me battre, piquer, gronder, caresser, tout faire selon son bon plaisir. Je pouvais supporter, pendant une demi-heure ou trois quarts d’heure, des personnes pesant 60 à 80 kilogrammes.

    Après ce laps de temps, je demandais toujours un moment de repos. Pendant cet entr’acte, les rapports entre ma «souveraine» et moi étaient tout à fait inoffensifs, et nous ne parlions pas même de ce qui venait de se passer. Un quart d’heure après, j’étais complètement reposé, et je me mettais de nouveau à la disposition de ma «souveraine». Quand le temps et les circonstances le permettaient, je continuais ce manège trois ou quatre fois de suite. Il arrivait que je m’y livrais dans la matinée et dans l’après-midi du même jour. Après, je ne sentais aucune fatigue ni aucun malaise, seulement j’avais peu d’appétit dans ces journées. Quand c’était possible, je préférais avoir le torse nu pour mieux sentir les coups de cravache.

    Ma «souveraine» était obligée d’être décente. Je la préférais avec de belles bottines, de beaux bas, des pantalons courts et serrant aux genoux, le torse complètement habillé, la tête coiffée d’un chapeau et les mains gantées.»

     

    M. Z… rapporte ensuite que, depuis sept ans, il n’a plus fait le coït, mais qu’il se sentait tout de même puissant.

    Le «chevauchage par la femme» remplace complètement pour lui cet acte «bestial», même lorsqu’il ne parvient pas à l’éjaculation.

    Depuis huit mois, Z… a fait le voeu de renoncer à son sport masochiste, et il a tenu parole. Toutefois, il avoue que si une femme un peu belle lui disait sans ambage: «Viens, je veux t’enfourcher!» il n’aurait pas la force de résister à cette tentation. Z… demande à être éclairé et à savoir si son anomalie est guérissable, s’il doit être détesté comme un homme vicieux ou s’il n’est qu’un malade qui mérite de la pitié.

     

    Notons qu’à l’époque, lorsqu’un acte sexuel était considéré trop obscène pour figurer mentionné tel quel dans un ouvrage de médecine sérieux, on évitait les mots disgracieux en passant subtilement du français au latin…

    Par exemple, lorsqu’il est question d’urophilie et de scatophilie :

    ut illi viri in ora earum spuerent, et fæces et urinas in ora explerent

    Ou lorsqu’il s’agit d’anulingus :

    Il y a aussi des hommes qui exigent introductio linguæ meretricis in anum

     

     

    #33486
    GC
    Participant

    Mais oui, la psychiatrie satisfaisait les convictions bourgeoises et catholiques.

    – l’homosexualité était de la perversion,

    – l’avortement un homicide “il valait d’ailleurs mieux laisser mourir la mère pendant l’accouchement mais sauver l’enfant”,

    – la pédophilie l’envoûtement satanique.

    Heureusement les sciences ont remis un peu de lumière, même si des actes restent heureusement punissables (pédophilie, notamment).

    A l’époque, toutefois, les bourgeois qui  faisaient s’habiller leurs (toutes jeunes) soubrettes en hautes bottes noires à lacets toute la journée, pour faire le ménage, ça s’était bien vu. Et quand elles étaient enceinte (du maître de maison), on les renvoyaient pour vol.

    Ah là, là, toutes ces valeurs dogmatiques…

     

    GC

     

    #33489
    Toy Story
    Participant

    Très intéressant,

    Le plus grand obstacle pour la compréhension de certaines pratiques, fantasmes est je pense, le puritanisme. D’où le fait qu’il y est des psychiatres qui ont eu besoin et sans doute encore de nos jours,  de faire des recherches sur les pulsions sexuelles de certains excentriques?!!

    Tant qu’il n’y a pas viol, domination forcée et que tout le monde y trouve son compte, où est le problème?

    Les biens pensants et pourtant souvent pratiquants étant souvent dans “les hautes sphères”, comme tu le soulignes si bien, GC. Mais surtout Chut!!

    Mais ceci est un autre débat.

    #33490
    GC
    Participant

    En Belgique, nous avons un gouvernement qui est de droite et même beaucoup plus. Une des premières lois qu’ils ont voulu adopter est la majorité sexuelle à 14 ans. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Sauf si … ?

    Par ailleurs, en ce qui concerne ma pratique SM, il y a des gens qui s’en offusque, alors même qu’il s’agit d’une pratique d’adultes consentants et bien informés.

    Nous  revoilà donc aux principes puritains, en effet. Merci à Toy Story.

    GC

    #33560
    Eglantine
    Maître des clés

    Bien que ses interprétations soient fortement biaisées par la morale de l’époque, Psychopathia Sexualis a eu un un effet positif sur le long terme.

    C’est une des premières études occidentales modernes consacrées à la sexualité, et malgré son regard réprobateur, l’auteur décrit les “cas” de ses patients avec une volonté de rigueur scientifique, ce qui a permis à d’autres de se faire leur propre interprétation.

    J’imagine qu’à l’époque, faute de communication ou de documentation sur le sujet, beaucoup de gens ayant une sexualité sortant un peu de l’ordinaire devaient se croire uniques dans ce cas… Découvrir l’existence de nombreuses situations similaires et variées a du être quelque peu rassurant.

    Je ne pense pas que la religion y soit pour quelque chose dans ce cas précis (c’est juste que bon, c’était le 19ème siècle, les gens – psychiatres inclus – n’étaient pas très open en matière de zézette…). Tout au long du bouquin, il y a de nombreuses analogies entre religion et masochisme.

     

    #33562
    Toy Story
    Participant

    Tout à fait d’accord, Elle, quant à ce cas précis. Je ne doute pas que les psychiatres ont fait un sacré “boulot” grâce à leurs analyses.

    Cependant si les religions n’avaient pas mis de barrières, ( il ne faut pas se  masturber, il faut avoir des rapports sexuels  uniquement pour avoir des enfants :scratch: , etc, etc…), je pense que la société aurait été, serait encore plus ouverte aux pratiques dites étranges.

    Car tout vient tout de même du formatage intellectuel, non?

    Pour ne pas être bornée!! J’irai jeter un oeil au lien que tu as cité, merci à toi.

     

    #33603
    GC
    Participant

    C’est vrai que, même imparfaits, les débuts de la psychiatrie ont ouvert la fenêtre de l’intelligence et du débat.

    On quittait le dogme conservateur et religieux pour aller vers la lumière et la Cartésianisme.

    Merci pour cette réflexion et ces nuances apportés par Elle.

    GC

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