Youporn, RedTube et Pornhub bloqués en France

YouPorn, RedTube et Pornhub bloqués en France : pourquoi ?

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Le 4 juin 2025 marque une date clé pour l’accès aux contenus pornographiques en ligne en France. Des plateformes majeures comme Pornhub, RedTube et YouPorn, gérées par le groupe canadien Aylo, ont choisi de rendre leurs services inaccessibles aux internautes français. Cette décision n’est pas le résultat d’une interdiction imposée par l’État, mais bien d’une action volontaire et stratégique de la part d’Aylo, qui proteste ainsi contre la nouvelle législation française sur la vérification d’âge.

Pornhub suspendu en France
La page d’accueil de Pornhub en France

Cette législation, saluée par de nombreuses figures politiques françaises sous prétexte de protection des mineurs, soulève également des questions brûlantes sur les libertés numériques et les impacts économiques.

D’un côté, la nécessité de protéger les mineurs de contenus explicites est une priorité largement partagée. De l’autre, cette réglementation pose des défis majeurs en termes de vie privée, de liberté d’expression pour les adultes, et de conséquences économiques pour les créateurs de contenu et l’industrie du divertissement adulte. Explorons ces enjeux complexes.

Côté loi française : une régulation stricte

Au cœur de cette situation se trouve la Loi n° 2024-449 du 21 mai 2024, dite Loi SREN (Sécuriser et Réguler l’Espace Numérique), qui formalise l’engagement de la France à encadrer strictement l’accès aux contenus pornographiques. Entrée en vigueur le 11 janvier 2025, la loi impose aux plateformes de mettre en place des mécanismes de vérification d’âge robustes, allant bien au-delà d’une simple déclaration d’âge par l’utilisateur.

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) joue un rôle central dans l’application de ces nouvelles règles. Dotée de pouvoirs renforcés par la Loi SREN, elle peut désormais ordonner le blocage des sites non conformes par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) pour une durée allant jusqu’à deux ans, ainsi que leur déréférencement des moteurs de recherche en seulement 48 heures. À partir du 6 juin 2025, l’Arcom pourra même agir sans décision judiciaire préalable, après une simple mise en demeure, simplifiant et accélérant les sanctions.

Cette extension des prérogatives administratives soulève des interrogations sur l’équilibre entre contrôle étatique et libertés individuelles. Si l’objectif est de protéger les mineurs, le risque d’une régulation trop directe et peu encadrée par des garde-fous judiciaires pourrait poser problème à long terme, notamment en établissant un précédent pour d’autres formes de contenus en ligne.

Les obligations de vérification d’âge, effectives depuis janvier 2025, ont été assorties d’une période de transition jusqu’au 11 avril 2025, après laquelle les solutions temporaires comme la vérification par carte bancaire ne sont plus acceptées. La décision d’Aylo de bloquer l’accès dès le 4 juin 2025, juste avant que l’Arcom n’acquière ses pleins pouvoirs de blocage administratif le 6 juin, n’est pas un hasard. En prenant les devants, Aylo cherche à contrôler le narratif, présentant son retrait comme un acte de défense de la vie privée et une critique d’une loi jugée irréalisable, plutôt que de se voir contraint à une fermeture par le régulateur.

La vérification d’âge : un défi technique et éthique

La loi française impose un système de “double anonymat” pour concilier protection des mineurs et respect de la vie privée. Ce mécanisme garantit que la plateforme adulte reçoit une confirmation de majorité sans connaître l’identité de l’utilisateur, tandis que le prestataire de vérification, qui détient cette identité, ignore à quel site l’utilisateur accède. La CNIL a salué ce cadre comme un progrès potentiel, mais des acteurs comme Aylo le jugent impraticable à grande échelle et source de risques pour la vie privée. Même la CNIL avait initialement exprimé des réserves, craignant un “monde numérique fermé” si la mise en œuvre n’était pas rigoureusement contrôlée.

La collecte de données sensibles, même par un tiers indépendant, reste un obstacle. Les risques de fuites ou d’abus, combinés à des coûts d’implémentation élevés, rendent ce système difficile à adopter pour de nombreuses plateformes, suggérant que l’ambition législative pourrait dépasser les réalités technologiques actuelles.

Les simples déclarations d’âge (“J’ai plus de 18 ans”) sont désormais proscrites, tout comme la vérification par carte bancaire, jugée contournable et insuffisante. Les solutions conformes incluent des prestataires indépendants, l’estimation faciale d’âge (avec suppression immédiate des données), les jetons d’identité numérique (exemple: Yoti), et la vérification de documents d’identité via des technologies anti-fraude. Cependant, ces méthodes ne sont pas exemptes de failles : l’estimation faciale peut être imprécise, et la collecte de données, même temporaire, présente des risques.

Cette course à la conformité semble inévitablement engendrer une contre-course au contournement. Les VPN, proxys ou le réseau Tor permettent aux utilisateurs d’échapper aux restrictions, tandis que les plateformes elles-mêmes peuvent recourir à des sites miroirs. Cette dynamique met en lumière la limite des solutions purement technologiques face à un Internet mondialisé.

La réaction d’Aylo : une protestation stratégique

Le choix d’Aylo de bloquer l’accès à ses plateformes en France à partir du 4 juin 2025 est un acte militant. Loin d’être une simple réaction à une contrainte, il s’agit d’une protestation contre une loi perçue comme intrusive et inefficace. Aylo critique le mécanisme du double anonymat, y voit une menace pour la vie privée des utilisateurs, et propose que la vérification d’âge incombe plutôt aux systèmes d’exploitation. Un message affiché sur ses sites dénonce ouvertement la législation française, cherchant à mobiliser l’opinion publique.

La France, avec ses 7 millions de visiteurs quotidiens sur Pornhub, est le deuxième marché mondial d’Aylo. Ce retrait représente donc un coût économique majeur, mais aussi une tactique de négociation : en se retirant, Aylo met la pression sur les régulateurs et met en avant les conséquences directes de la loi, tout en évitant de se plier à des exigences jugées intenables.

Pendant qu’Aylo opte pour la confrontation, d’autres plateformes comme OnlyFans et MYM s’efforcent de se conformer en mettant en place des systèmes de vérification d’âge via pièces d’identité. Certaines, comme xHamster ou Tukif, auraient par le passé créé des sites miroirs pour contourner des blocages. Cette fragmentation des stratégies reflète la complexité d’un marché mondial face à des régulations nationales, risquant de pousser les utilisateurs vers des espaces moins sécurisés et de saper l’efficacité des mesures françaises.

L’impact économique sur les créateurs de contenu

Le modèle économique des plateformes comme Pornhub repose sur un trafic massif générant des revenus publicitaires, tandis que des plateformes comme OnlyFans ou MYM fonctionnent sur des abonnements et des contenus payants, prélevant respectivement 20 % et 25 % des gains des créateurs. Le retrait d’Aylo du marché français prive immédiatement de nombreux(ses) créateurs/trices d’une visibilité cruciale, affectant directement leurs revenus.

Les statistiques montrent que la majorité des créateurs/trices de contenu porno, particulièrement ceux et celles avec une audience modeste, génèrent des revenus limités.

  • Le revenu médian pour un compte OnlyFans est d’environ 180 dollars, soit 160 euros par mois avant impôt, un chiffre nettement inférieur à ce qui est souvent mis en avant.
  • Pornhub rémunère principalement ses créateurs/trices via un modèle basé sur la publicité, de manière similaire à YouTube. Les créateurs/trices gagnent de l’argent lorsque des publicités sont diffusées sur leurs vidéos. Le revenu moyen pour 1000 vues est estimé à 0,69 $, soit 0,60 euros. Par exemple, pour gagner 1000 euros par mois (avant impôt), un(e) créateurs/trice de contenu a besoin de plus de 1,66 million de vues par mois : seul(e)s les créateurs/trices ayant une portée massive peuvent gagner des sommes substantielles.

Cette fragilité économique rend toute perturbation, comme ce blocage volontaire, potentiellement dévastatrice pour leur subsistance.

Débats et perspectives

La CNIL et des organisations comme l’Electronic Frontier Foundation (EFF) alertent sur les risques d’un Internet sous surveillance accrue. La vérification d’âge, bien qu’essentielle, pourrait devenir une porte d’entrée vers un contrôle plus large des contenus en ligne, érodant l’anonymat et la liberté d’expression. Ce débat met en lumière une tension fondamentale : comment protéger les mineurs sans sacrifier les droits des adultes ?

L’expérience montre que les blocages sont souvent contournés via des VPN, Tor ou des sites miroirs. Cette réalité suggère que les restrictions nationales, bien que symboliques, peinent à s’imposer face à la nature globale d’Internet, risquant même de pousser les utilisateurs vers des espaces moins sûrs.

Il est également important de distinguer les préoccupations légitimes (protection des mineurs) des jugements moraux sur la sexualité adulte. La rhétorique politique française, parfois moralisatrice, pourrait stigmatiser l’industrie adulte au-delà de l’objectif initial, occultant des solutions comme une éducation sexuelle et numérique adaptée, qui serait plus durable que de simples interdictions.

Collectionneuse compulsive de sextoys, testeuse pointilleuse et exhibitionniste débutante.